mercredi 19 septembre 2007

Lettre ouverte à Monsieur Luc Ferry, ancien ministre et philosophe

A la suite d'une émission parue sur la chaîne catholique KTO dimanche 16 septembre, j'ai estimé nécessaire une mise au point. Elle se présente sous la forme d'une lettre ouverte adressée à M. Ferry, ancien ministre de l'éducation nationale di gouvernement Raffarin.




Monsieur le Ministre,



Quand on fait profession d’être ami de la sagesse comme le laisse entendre votre activité publique, cela exige une honnêteté sans faille.

Quand on a exercé une charge ministérielle et non des moindres, cela requiert un sens élevé des responsabilités.

Quand on se livre à un commentaire sur l’encyclique Veritatis Splendor du défunt pape Jean Paul II, on est tenu dans le même temps, cohérence de la pensée oblige, de se conformer à la vérité.

Quand on a l’occasion de s’exprimer sur une chaîne de télévision catholique, la correction la plus élémentaire oblige à faire preuve de courtoisie et d’honnêteté vis-à-vis de l’ensemble des catholiques, y compris vis-à-vis de ceux qui sont attachés au rite tridentin, même si celui-ci vous déplait.

Or, il se trouve que par deux fois en l’espace de quelques minutes vous avez failli aux devoirs qui étaient les vôtres lors de l’entretien que vous avez eu sur la chaîne de télévision KTO, le dimanche 16 septembre 2007:

- Une première fois, en laissant entendre que les catholiques ne lisaient pas les textes de l’Eglise,

- Une seconde fois, et ceci est particulièrement grave, en qualifiant les fidèles de Saint Nicolas du Chardonnet de néo-nazis.


Ces propos sont à tous égards inacceptables car ils témoignent d’un certain mépris pour les catholiques dans leur ensemble et pour les traditionalistes en particulier.


Sur le premier point, je vous ferais courtoisement observer que vous n’êtes pas derrière chaque catholique pour vous permettre une telle affirmation péremptoire. Quand bien même cela serait vrai, les textes de l’Eglise ne sont pas tous destinés au grand public et en l’occurrence Veritatis Splendor est une lettre encyclique et, comme telle, s’adresse uniquement aux évêques et non pas à l’ensemble des fidèles. Beaucoup de documents ecclésiaux sont théologiquement, canoniquement ou philosophiquement hors de portée de la majorité des catholiques. Ceux-ci n’ont pas reçu une formation appropriée qui n’est, d’ailleurs, pas nécessaire quand on n’est pas appelé à exercer un jour des fonctions importantes au sein de l’Eglise. Vous confondez, Monsieur, érudition et foi. Si celle-ci peut se nourrir et s’enrichir de celle-là tant mieux mais la vie spirituelle se nourrit pas de que des textes officiels de l’Eglise mais aussi des écrits des saints et de religieux, parfois anonymes, comme souvent chez les Pères Chartreux, qui ont laissé des pages admirables riches en méditation. Pour certains, gens simples, généreux et rayonnant de leur Amour en Dieu, il reste ce que l’on appelait jadis la foi du charbonnier, laquelle n’exclut pas pour autant la piété et une certaine compréhension du magistère de l’Eglise. Et comme souvent, ces gens simples font preuve d’une rectitude intellectuelle face à l’enseignement de l’Eglise à l’inverse de certains catholiques qui croient avoir compris le magistère mais ne se privent pas pour le critiquer, parfois violemment.

S’agissant des textes officiels, puisqu’il s’agit bien de cela, permettez-moi de vous rappeler qu’il appartient aux évêques, membres de l’Eglise enseignante, de les commenter auprès de leurs prêtres et des fidèles.

Mais venons-en maintenant au second point que j’évoquais plus haut. J’ai été stupéfait par votre critique du pape Benoît XVI à propos du rétablissement du libre usage, pour ceux qui le désirent, de la messe de rite tridentin, selon l’édition typique définie en 1962 par le pape Jean XXIII.

Tandis que le souverain pontife œuvre afin de parvenir à « une réconciliation interne au sein de l’Eglise » comme il le dit lui-même dans la lettre d’accompagnement adressée aux évêques, vous vous posez en juge critique, méprisant au passage les catholiques de Saint Nicolas du Chardonnet en les qualifiant de néo-nazis.

Ceci est d’autant plus inacceptable que ces propos sont ceux d’un homme public dont l’autorité et la notoriété sont de nature leur attribuer un certain crédit à abuser par voie de conséquence les téléspectateurs mal informés.

Parlant des néo-nazis de Saint Nicolas, vous dites avoir vérifié par vous-même sur place l’exactitude de vos accusations. Mais pour avoir fréquenté pendant plusieurs années, au temps de M. l’abbé Laguérie, dont je vous rappelle qu’il jouit depuis 2006 d’un statut de droit pontifical pour l’institut qu’il a fondé, je tiens à m’inscrire en faux. Non, Monsieur le Ministre, Saint Nicolas du Chardonnet n’est pas un repaire sordide où des nostalgiques viendraient le dimanche se nourrir en commun d’un passé abominable !

Comme tout groupe humain les fidèles de Saint Nicolas du Chardonnet offrent un visage très diversifié d’un point de vue strictement sociologique. On y rencontre des jeunes, des moins jeunes, des personnes âgées. Toutes les couches professionnelles y sont représentées, fonctionnaires, militaires, enseignants, artisans, ouvriers, cadres et employés du secteur privé. Ils ne sont ni pire, ni meilleurs que les autres mais s’efforcent de vivre en suivant l’enseignement du Christ. J’affirme que tous ces gens n’ont que faire de l’idéologie nazie dont ils sont à des années-lumière.

Je ne suis pas derrière chaque catholique traditionaliste pour savoir quels sont ses choix politiques. Néanmoins, je pense que si d’aucuns votent pour le Front national ou pour le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, d’autres ont pris leurs distances avec la politique et votent blanc ou s’abstiennent parce qu’aujourd’hui aucun parti ne propose un programme authentiquement conforme à la morale chrétienne, pas même le Front national dont les militants ne se préoccupent pas davantage des questions touchant à la morale chrétienne que homologues des autres partis. Ceci est d’autant plus vrai que de nombreux chrétiens débattent aujourd’hui sur l’attitude à adopter quand on sait que le souverain pontife a rappelé l’obligation de cohérence entre les choix politiques et les principes fondamentaux de la morale naturelle posés en valeurs non négociables.


Mais je sais par ailleurs que se vendaient et se vendent peut-être encore aujourd’hui (je n’en sais rien puisque je vis depuis plusieurs années en province) des revues, livres et autres documents émanant du Front national ou de partis ou mouvements appartenant à la droite nationale, comme l’Action française.

Or c’est précisément là où le bât blesse car vous vous appuyez sur ce constat pour reprendre, sur le dos des traditionalistes, le discours très confortable qui procède par amalgames pour disqualifier les sympathisants de la droite nationale. Ce faisant vous avez transposé dans le domaine religieux le débat politique dans sa forme la plus détestable. Ceci me conduit à m’interroger. De deux choses l’une :

Ou bien vous êtes convaincu du contenu idéologique que l’on prête au Front national et j’aimerais que vous l’expliquiez au béotien que je suis, étant entendu que l’argumentaire fondé sur le racisme et la xénophobie ne me paraît pas convaincants. Ces mêmes arguments furent, au demeurant, employés contre le candidat Nicolas Sarkozy au cours de la dernière campagne présidentielle afin de le disqualifier.

Ou bien vous l’avez fait sciemment pour discréditer les catholiques traditionalistes et je regrette de devoir vous dire que ce genre de méthode relève de la technique de désinformation propre aux régimes totalitaires. Je vous invite à relire la ferme des animaux de George Orwell. Cela m’épargnera un long commentaire sur l’entreprise de manipulation mentale qui caractérisa naguère les pays du bloc de l’est et à laquelle les procédés utilisés aujourd’hui en France s’apparentent.

Je tiens aussi à vous préciser que les prêtres de la tradition, et pas seulement à Saint Nicolas du Chardonnet, interdisent toute vente de presse politique sur le parvis de leur église non pas par peur du qu’en dira-t-on mais pour des raisons plus élevées. Monsieur l’abbé Laguérie l’a fait en son temps avec la fermeté qu’on lui connaît mais aussi Monsieur l’abbé Coiffet à Versailles. J’en parle pour les avoir personnellement entendus en chaire mettre en garde les fidèles.

Leur motivation tient au fait que la messe dominicale est le temps fort de la vie chrétienne qui doit nourrir la vie spirituelle, laquelle ne doit pas être perturbée dès la fin de la messe par un colportage politique intempestif, quel qu’il soit. Au fond, il s’agit, et cela me paraît tout à fait légitime, de rendre ce jour-là (Dies Domini) à Dieu ce qui est à Dieu et de laisser César de côté afin de préserver le caractère latreutique de cette journée. Ceci étant, les prêtres n’ont pas de pouvoirs de police, que je sache, et ne peuvent empêcher les marchands politiques de tourner autour du temple.

Enfin, j’ajouterai que le courant traditionaliste ne se réduit pas à Saint Nicolas du Chardonnet, loin s’en faut, ni même à la seule Fraternité Saint Pie X fondée par Mgr Lefebvre. En rédigeant la lettre apostolique Summorum Pontificum, je suis convaincu que Benoît XVI avait en vue bien autre chose que cette seule église parisienne qui n’était jamais qu’une église paroissiale et qui a acquis une renommée emblématique dans les années 70 quand les traditionalistes n’avaient pas d’autres possibilités de se faire entendre autrement qu’en occupant des églises. C’est pourquoi je considère votre critique sur le motu proprio du pape pour le moins réducteur et grossièrement caricatural, à l’aune de ce que peuvent rapporter les médias dont la rigueur et l’objectivité d’analyse pour tout ce qui touche le catholicisme, ne semblent pas être la vertu première.

Alors si vous êtes épris de vérité je vous invite à prendre votre bâton de pèlerin, ce qui est tout indiqué en la circonstance, et à vous rendre à l’abbaye bénédictine de Fontgombault, à celle de Randol, à celle de Sainte Madeleine du Barroux, à découvrir les chanoines Réguliers de Lagrasse, les pères dominicains de la Fraternité Saint Vincent Ferrier et les dizaines de lieux de cultes concédés à la Fraternité saint Pierre, à l’Institut du Christ-Roi de Mgr Wach, à l’Institut du bon Pasteur de l’abbé Laguérie, institutions canoniquement en règle avec Rome et vous verrez que la tradition n’est certainement pas ce que voulez bien en dire. Cela vous évitera des propos blessants et injustes. Je citerai aussi les lieux de culte de la Fraternité Saint Pie X et des communautés catholiques qui s’y rattachent, même si pour l’instant elles ne sont pas reconnues canoniquement : je pense aux bénédictins de Bellaigue ou aux dominicains d’Avrillé, aux capucins et clarisses de Morgon, aux pères de la Fraternité de la Transfiguration de Mérigny, aux carmélites d’Eynesse comme à celles de Quiévrain en Belgique, aux sœurs de la Fraternité Saint Pie X, aux dominicaines enseignantes et bien d’autres encore en France comme à l’étranger, car j’en oublie. Croyez-vous que, cloîtrées selon l’ancienne règle, les carmélites nourrissent du fond de leur carmel je ne sais quel fantasme mussolinien ou hitlérien ?

Et en dernier lieu, plutôt qu’un mépris condescendant pour tout ce qui touche la tradition je vous invite à lire ne serait-ce que le « Suscipe Sancte Pater », prière de l’offertoire de la messe tridentine pour le comparer à la prière d’offrande de la messe de Paul VI. Mieux encore, prenez le temps d’assister à une messe, une messe basse, toute simple, une messe comme celle que que tout moine - prêtre célèbre quotidiennement et solitairement, à l’abbaye de Flavigny-sur-Ozerain ou à celle du Barroux. Alors, peut-être sentirez-vous la dimension sacrée d’une liturgie qui, remontant aux premiers siècles du christianisme et qui, vraisemblablement, était déjà codifiée dès le VIème siècle dans la forme générale qu’on lui connaît aujourd’hui, se répète immuable, quasi éternelle, jour après jour, en sacrifice d’adoration et de louange ? Alors vous comprendrez, je le souhaite ardemment, tout ce que vos propos peuvent avoir d’incongrus et d’offensants.

Pardonnez le ton parfois virulent de cette lettre, mais je me devais de vous faire savoir mon indignation, non pas pour moi tout particulièrement mais parce qu’il est insupportable qu’un débat politique faussé depuis longtemps vienne entacher la réflexion spirituelle surtout quand celle-ci porte sur la Vérité.


Confiant dans l’idée que le philosophe que vous êtes recevra avec attention et bienveillance les rectifications que j’ai cru devoir apporter, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma respectueuse considération.

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